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INDEXER OU REVISER, IL FAUT CHOISIR

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Résumé de l’épisode précédent,

Ainsi qu’on l’a vu précédemment (cf. épisode 1 – quand l’indexation est mise à l’index), neuf ans c’est long. C’est très long pour le propriétaire d’un local commercial donné à bail devant se satisfaire d’un loyer fixé lors de la conclusion du contrat.

Comme évoqué, c’est ce qui a expliqué le développement de la pratique des clauses d’indexation, prévoyant une évolution automatique annuelle du loyer, à chaque date anniversaire du bail, calquée sur la variation d’un indice choisi par les parties [l’Indice du Cout de la Construction (ICC) puis, plus récemment, l’Indice des Loyer Commerciaux (ILC) ou l’Indice des Loyers des Activités Tertiaires. (ILAT)].

La légalité de cette pratique est conditionnée par la variation effective du loyer tant à la hausse qu’à la baisse à laquelle nulle stipulation du bail ne saurait faire obstacle.

 

Générique du deuxième épisode.

Si neuf ans c’est long pour le bailleur, c’est, également, très long pour le locataire qui se voit imposer une évolution automatique et sans formalisme préalable du loyer, parfois totalement décorrélée de la valeur locative réelle des locaux (cette décorrélation était particulièrement accrue en période de forte hausse de l’indice de référence choisie).

Certains locataires ont ainsi envisagé de pouvoir solliciter une baisse du loyer en cours de bail, sans avoir à attendre l’échéance contractuelle de celui-ci, au motif que la valeur locative des locaux était inférieure au loyer indexé.

Cette intention légitime d’un gestionnaire prudent et avisé est-elle juridiquement envisageable ?

(Mais y sont-ils seulement autorisés ?)

Que dit le Législateur ?

Il convient de rappeler qu’en cours de bail, et par application de l’article L. 145-37 du Code de commerce, le locataire ne peut obtenir une révision du loyer en cours qu’alternativement sur le fondement de l’article L. 145-38 ou de l’article L. 145-39 du Code de commerce.

Le premier de ces textes dispose que :

« La demande en révision ne peut être formée que trois ans au moins après la date d’entrée en jouissance du locataire ou après le point de départ du bail renouvelé. La révision du loyer prend effet à compter de la date de la demande en révision.

De nouvelles demandes peuvent être formées tous les trois ans à compter du jour où le nouveau prix sera applicable.

Par dérogation aux dispositions de l’article L. 145-33, et à moins que ne soit rapportée la preuve d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative, la majoration ou la diminution de loyer consécutive à une révision triennale ne peut excéder la variation de l’indice trimestriel des loyers commerciaux ou de l’indice trimestriel des loyers des activités tertiaires mentionnés aux premier et deuxième alinéas de l’article L. 112-2 du code monétaire et financier, intervenue depuis la dernière fixation amiable ou judiciaire du loyer. Dans le cas où cette preuve est rapportée, la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente.

En aucun cas il n’est tenu compte, pour le calcul de la valeur locative, des investissements du preneur ni des plus ou moins-values résultant de sa gestion pendant la durée du bail en cours. »

En dépit d’une rédaction perfectible , l’article L 145-38 offre un pouvoir d’appréciation au Juge pour la fixation du loyer révisé sous réserve, et sans autre exclusive en dehors d’une variation des facteurs locaux de commercialité de plus de 10%, du respect d’un plafond correspondant à la variation de l’indice pertinent.

Quant au second, il fulmine que (de tous ses naseaux) : « En outre, et par dérogation à l’article L. 145-38, si le bail est assorti d’une clause d’échelle mobile, la révision peut être demandée chaque fois que, par le jeu de cette clause, le loyer se trouve augmenté ou diminué de plus d’un quart par rapport au prix précédemment fixé contractuellement ou par décision judiciaire. La variation de loyer qui découle de cette révision ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10 % du loyer acquitté au cours de l’année précédente. »

L’action en révision du loyer sur le fondement de l’article L. 145-39 du Code de commerce suppose que soit rapportée la preuve d’une variation du loyer de plus d’un quart par application du jeu de la clause d’échelle mobile, ce qui est somme toute relativement rare (bien que possible, notamment en raison des fortes variations de l’ICC au cours de la période 2000-2006).

En période de forte hausse de l’indice retenu par les parties pour procéder à l’indexation conventionnelle du loyer, l’article L. 145-39 du Code de commerce constitue donc un moyen d’action efficace permettant au locataire d’obtenir une baisse du loyer pour autant toutefois :

–     D’une part que la hausse indiciaire ait conduit à une augmentation du loyer de plus de 25% par rapport au loyer de base,

–     D’autre part que l’augmentation de la valeur locative des locaux demeure quant à elle inférieure à 25%.

Cette double condition demeurant très rarement satisfaite (et imposant par ailleurs aux locataires d’attendre une hausse de 25% de leur loyer), ces derniers pourraient être tentés d’utiliser l’article L. 145-38 du Code de commerce, l’action en révision légale leur étant toujours ouverte comme constituant une disposition d’ordre public.

Ainsi, selon le législateur, tel qu’il s’exprime dans les articles L 145-38 et L 145-39, le locataire titulaire d’un bail le locataire titulaire d’un bail commercial dont le loyer est assorti d’une clause d’indexation devrait tout à la fois pouvoir solliciter une révision tous les trois ans (la révision légale de l’article L 145-38) et une révision dans des délais plus court en cas de hausse de plus de 25% du loyer (la révision de l’article L 145-39)

Oui mais…

Que dit le Juge ?

Cette question a donné lieu à un contentieux très important, par ailleurs alimenté par les prises de position affirmées de la Cour de cassation et les initiatives du législateur en la matière pour tenter de contrer celles-ci.

A la fin des années 90, la Cour de cassation avait en effet considéré que  » Le prix du bail révisé en application de l’article 27 du décret du 30 septembre 1953 [article L. 145-38 du Code de commerce] ne peut, en aucun cas, excéder la valeur locative » (Cass. 3e civ., 24 janvier 1996, Bull. civ. III, n°24). Il s’agit de la jurisprudence dite « PRIVILEGES » de la Cour de cassation, déclinée à de nombreuses occasions au début des années 2000.

Il en résultait qu’en application de cette jurisprudence, si la valeur locative était inférieure au loyer plafond, celle-ci s’appliquait, même si elle était inférieure au loyer en vigueur.

Cette jurisprudence est née de l’interprétation combinée de deux textes du statut des baux commerciaux relatifs à la révision triennale du loyer donnée par la Cour de cassation :

–     L’article L. 145-33 du Code de commerce, qui pose comme principe général dans son premier alinéa que le montant du loyer des baux renouvelés ou révisés doit correspondre à la valeur locative,

–     L’article L. 145-38 (dans sa version antérieure à la loi n°2001-1168 du 11 décembre 2001 (dite loi MURCEF) prévoyait quant à lui en son troisième alinéa que la majoration ou la diminution de loyer consécutive à une révision triennale ne pouvait excéder la variation de l’indice trimestriel du coût de la construction intervenue depuis la dernière fixation amiable ou judiciaire du loyer.

Interprétant ces deux textes, la Cour de cassation en a déduit que le loyer révisé devait être fixé, soit par rapport à la valeur locative, soit par rapport au montant du loyer résultant de l’indexation, la plus faible des deux sommes devant être retenue.

En pratique, cette jurisprudence permettait aux locataires, subissant les effets d’une clause d’indexation fortement haussière, de demander tous les trois ans la révision à la baisse de leur loyer en démontrant simplement que ce dernier était supérieur à la valeur locative.

Les locataires avaient dès lors trouvé un allié de poids pour obtenir la baisse de leur loyer (dès lors que celui-ci était supérieur à la valeur locative réelle de leurs locaux), la seule condition posée étant alors le délai de trois ans qui devait s’être écoulé entre la demande formée et la précédente fixation du loyer.

Afin de combattre cette jurisprudence, le législateur a entendu modifier l’article L. 145-38 du Code de commerce, à l’occasion de la loi n°2001-1168 du 11 décembre 2001 (dite loi MURCEF), de façon d’ailleurs fort maladroite, en ajoutant au début du troisième alinéa de l’article L. 145-38 la mention suivante : « par dérogation aux dispositions de l’article L. 145-33 du Code de commerce. »

Par l’ajout de cette mention, le législateur a ainsi entendu préciser que le montant du loyer révisé ne devait être fixé à la valeur locative que pour autant que soit rapporté la preuve d’une modification des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle une modification de plus de 10% de la valeur locative.

On pouvait dès lors s’interroger sur la valeur de fixation du loyer révisé par application de ce texte, dès lors que n’était rapportée la preuve d’une modification des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle une modification de plus de 10% de la valeur locative.

Sur quelle base devait alors être fixé le loyer révisé ? Compte tenu de l’objet même de la réforme et de la dérogation expresse à l’article L. 145-33 du Code de commerce, ce ne pouvait être la valeur locative. Cela ne peut non plus être une simple indexation, sinon à quoi bon disposer que « la majoration ou la diminution de loyer consécutive à une révision triennale ne peut excéder la variation de l’indice ».

Une incertitude planait, qui a été levée par la Cour de cassation dans un arrêt rendu le 6 février 2008 (Cass. 3e civ., 6 février 2008, Bull. civ. III, n°23), en décidant que dès lors « qu’aucune modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné une variation de plus de dix pour cent de la valeur locative n’était démontrée ni alléguée, la cour d’appel a exactement retenu que le loyer révisé devait être fixé à la valeur locative dès lors que celle-ci se situait entre le loyer en cours et le plafond résultant de la variation de l’indice du coût de la construction. »

Depuis cette date, une demande de révision fondée sur l’article L. 145-38 du Code de commerce ne peut entraîner une fixation du loyer à une valeur inférieure au loyer en cours que, sous la double condition :

–     que soit rapportée par le locataire la preuve d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné une variation de plus de dix pour cent de la valeur locative,

–     que la valeur locative soit inférieure au loyer en cours.

En l’absence de modification des facteurs locaux de commercialité, les juges disposeront d’une certaine liberté pour fixer le loyer révisé à une valeur qui doit nécessairement être fixé sous la double limite suivante :

–     Le plancher du loyer encours,

–     Le plafond résultant de la variation de l’indice du coût de la construction (aujourd’hui l’ILC ou l’ILAT).

La question demeurait alors de savoir quel était « le loyer en cours » visé par la Cour de cassation dans son arrêt du 6 février 2008. En effet s’il s’agissait du dernier loyer fixé conventionnellement par les parties (à l’occasion d’une indexation annuelle), la révision triennale légale perdait tout son intérêt, le plancher et le plafond visés par la Cour dans son arrêt se confondant (sauf application d’un indice d’indexation conventionnel différent de l’ICC ou aujourd’hui de l’ILC ou ILAT).

D’aucun ont en conséquence cru pouvoir considérer que le loyer en cours ne pouvait être que le loyer d’origine.

Dans un arrêt du 20 mai 2015, la Cour de cassation a cependant rejeté cette argumentation en retenant : « qu’ayant relevé qu’en présence dans le bail d’une clause d’indexation sur la base de la variation de l’indice du coût de la construction régulièrement appliquée, le loyer en vigueur est le résultat de l’application de cette clause qui fait référence à un indice légal, la cour d’appel a exactement décidé, par ces seuls motifs, qu’à défaut de modification des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative, il n’y avait pas lieu à révision du loyer sur le fondement de l’article L. 145-38 du code de commerce qui écarte, par dérogation à la règle posée à l’article L. 145-33 du même code, la référence de principe à la valeur locative ; »

Elle valide ainsi le moyen aux termes duquel il ressort que « La SNCF qui n’apporte par la preuve, ni d’une modification matérielle des facteurs locaux de commercialité, ni d’une variation de plus de 25% du loyer, exerce une action en révision triennale du loyer à la valeur locative qui se situe entre le loyer contractuel d’origine et le loyer plafond ; que, dans ce cas, la valeur locative ne peut légalement descendre sous le loyer en cours qui est celui pratiqué par les parties à la date de la demande de révision triennale et qui résulte du jeu de la clause contractuelle d’échelle mobile ; que la correction des excès de l’indexation ne peut se faire que dans le cadre des dispositions de l’article L. 145-39 du Code de commerce ; qu’il y a un article pour cela dont les conditions ne sont pas en l’espèce réunies ; qu’en d’autres termes, le loyer en cours n’est pas le loyer contractuel d’origine mais le prix indexé à la date de la révision triennale et la SNCF ne peut pas légalement solliciter la fixation du loyer révisé à une valeur locative qui est inférieure à ce loyer plancher dont l’objet est d’écarter les révisions triennales à la baisse. »

Ainsi, en présence d’une clause d’indexation régulièrement appliquée et en l’absence de modification des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative, une action en révision formée sur l’article L. 145-38 du Code de commerce sera nécessairement vouée à l’échec, le loyer pratiqué ne pouvant descendre sous le loyer en cours et ne pouvant excéder la variation de l’indexation.

Il ne suffit dès lors que d’un pas pour affirmer que la clause d’indexation et la révision triennale légale sont incompatibles … pour autant toutefois :

–     D’une part qu’il n’y ait pas de modification des facteurs locaux de commercialité ayant entraîné par elle-même une variation de plus de 10 % de la valeur locative,

–     D’autre part que la clause d’indexation stipulée au bail repose sur l’indice applicable pour le calcul du loyer plafond aux termes de l’article L. 145-38 du Code de commerce (ILAT ou ILC).

 

(A suivre)

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