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La qualification de la concession d’aménagement au regard du droit communautaire (2/2)

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Il existe une particularité des concessions d’aménagement en droit interne français, prise en compte par la jurisprudence CJCE, 12 juillet 2001, Ordre des architectes de Milan. La quasi-totalité des concessions d’aménagement à la française présente un caractère onéreux pour la collectivité, car très souvent la collectivité s’engage à participer financièrement à la réalisation de l’opération. Et le plus souvent, ces opérations d’aménagement sont des opérations qui sont réalisées dans le cadre d’une procédure de ZAC. Une des grandes caractéristiques de la procédure de ZAC, c’est qu’elle permet d’exonérer l’aménageur et les constructeurs du champ d’application de la TLE (taxe locale d’équipement), exclusion qui est subordonnée à l’obligation pour la collectivité d’imposer aux aménageurs ou constructeurs la prise en charge du coût de réalisation d’un certain nombre d’équipements. L’idée est qu’on substitue à un mécanisme de participation forfaitaire (la TLE), un mécanisme de participation réelle (l’obligation de réaliser certains équipements). On décide que la participation sera calculée en fonction du coût véritable des équipements nécessités par la réalisation de l’opération. Dans cette hypothèse, l’aménageur va réaliser les équipements en contrepartie de l’exonération de TLE. Donc, pour la CJCE, le contrat de ce seul fait est un contrat à titre onéreux pour la collectivité car elle renonce à percevoir une somme. Et les travaux sont réalisés en contrepartie de la renonciation à percevoir cette somme.
Du fait de cette double caractéristique, il y a existence d’un prix. Comment dire que le contrat est bien une concession de travaux et non un marché de travaux ? On admet qu’une proportion significative de produit d’exploitation est suffisante pour que le contrat soit une concession même si ce contrat présente un caractère onéreux pour le pouvoir adjudicateur. Il faut donc que les rémunérations qui proviennent de tiers soient substantielles. Il faut qu’une part significative des ressources provienne des tiers, par rapport aux ressources de la collectivité. Sinon, on considèrera qu’il s’agit d’un marché.

Si on se reporte au décret du 31 juillet 2006, on constate qu’il prévoit une procédure, qui est la procédure type concession de travaux (i.e. au dessus du seuil, il est possible de négocier le contrat après mesure de publicité).
Est-ce que les concessions d’aménagement qui sont soumises à cette procédure sont bien des concessions de travaux au sens communautaire ?
Pour répondre à cette question, il faut examiner une disposition essentielle du décret, l’article R. 300-11 C.Urba. : « Les dispositions de la présente section sont applicables aux concessions d’aménagement pour lesquelles le concessionnaire est rémunéré substantiellement par les résultats de l’opération d’aménagement. »

Deux questions se posent :

  • Quelles conditions faut-il remplir pour considérer qu’une concession d’aménagement est une concession pour laquelle le concessionnaire est substantiellement rémunéré par les résultats de l’exploitation ?
  • Quelle procédure faut-il appliquer pour les concessions d’aménagement dans lesquelles le concessionnaire n’est pas rémunéré substantiellement par les résultats de l’opération ?

Au départ, le projet de décret ne contenait pas cette disposition. Celle-ci a été insérée au dernier moment pour tenir compte des conclusions de Madame Kokott, qui décident qu’une concession d’aménagement ne peut pas être une concession de travaux au sens de la directive si elle ne s’effectue pas aux risques et périls de l’aménageur. Le contexte dans lequel la disposition a été insérée permet de penser que les auteurs du décret ont, par cette formule, entendu viser que les seules concessions d’aménagement aux risques et périls de l’aménageur. Elles seraient par conséquent les seules à être soumises à la procédure prévue par le décret.

Cette disposition fait penser à la loi MURCEF sur les délégations de service public (« rémunération substantiellement liée aux résultats d’exploitation du service »). En matière de délégation de service public, on considère qu’il y a rémunération substantiellement liée aux résultats de l’exploitation dès lors qu’il y a rémunération liée aux résultats de l’exploitation.

En matière de concessions d’aménagement, faut-il que l’exploitation soit aux risques et périls ou suffit-il qu’il y ait un risque d’exploitation ? La jurisprudence du Conseil d’Etat est loin d’être clair, car il ne distingue pas de façon précise entre les notions de risque d’exploitation et de risque de perte. Très souvent, en matière de délégation de service public, il se contente d’utiliser la notion de risque, sans préciser. Quand il y a risque de perte, il y a forcément un risque d’exploitation. Mais l’inverse n’est pas vrai. Il peut y avoir un risque d’exploitation sans risque de perte, car il suffit pour qu’il y ait risque d’exploitation, qu’il y ait un risque de moindre profit. Autrement dit, la rémunération n’est pas garantie, elle est variable. Mais si elle ne peut pas descendre en dessous de 0, il n’y a pas de risque de perte.
Or, il semble que, même si la jurisprudence du Conseil d’Etat n’est pas d’une parfaite clarté, le Conseil d’Etat interprète la formule utilisée par la loi MURCEF comme impliquant un risque d’exploitation et non un risque de perte. Il faut que les revenus du cocontractant ne soient pas garantis comme ils le sont quand il y a paiement par un prix : il faut que les revenus soient variables (non garantis). Mais ce n’est pas nécessaire qu’il y ait nécessairement un risque de perte.
Le Conseil d’Etat, en matière de délégation de service public, interprète la formule comme signifiant qu’il y a délégation de service public même s’il n’y a pas risque de perte, dès lors qu’il y a un risque suffisant de variation de la rémunération. Par cette solution, il veut que le concessionnaire soit incité à gérer le service le mieux possible, sans qu’il soit pour autant obligé de subir un risque de perte qui risque de mettre en danger la continuité du service public.

Il y a deux interprétations possibles de la formule de l’article R. 300-11 :

  • Soit on retient l’interprétation que l’on peut penser conforme à la volonté des auteurs et on ne soumet à la procédure du décret que les seules concessions aux risques et périls ;
  • Soit on transpose en matière de concessions d’aménagement l’interprétation que le Conseil d’Etat donne d’une formule proche (en matière de délégation de service public) et on soumet alors à la procédure prévue par le décret, non seulement les concessions d’aménagement aux risques et périls, mais également toutes celles dans lesquelles, en l’absence de tout risque de perte, la rémunération varie en fonction des résultats d’exploitation (parce qu’elles varient en fonction des recettes d’exploitation). Cette seconde solution éviterait une divergence de jurisprudence, selon le type de contrats. Mais, dans ce cas, le décret serait illégal au regard du droit communautaire.
    Il faut attendre une décision du Conseil d’Etat.

S’il existe ce flou sur la notion de risque dans le cadre de la délégation de service public, c’est parce que dans les faits le risque de perte dans le cadre des délégations de service public est peu fréquent. On peut réussir très largement à s’en prémunir. Donc, le risque fondamental dans le cadre des délégations de service public est un risque de moindre profit, qui est très important.
Mais en matière de concessions d’aménagement, cette confusion est beaucoup plus difficile à réaliser, car le risque de perte est tout sauf théorique. D’ailleurs, la plupart des grands contrats d’aménagement contiennent des clauses qui traitent de ces risques.

Ceci étant, dans l’état actuel du droit positif, le décret prévoit une procédure conforme à la directive en matière de concessions de travaux. Ce décret dit que sont soumis à cette procédure les concessions d’aménagement dans lesquelles le concessionnaire est rémunéré substantiellement par les résultats de l’exploitation. Dans ce cadre, pour que le décret soit « euro » conforme, il faut l’interpréter comme prévoyant que ne sont soumises au décret que les concessions d’aménagement aux risques et périls. Si on retient la même conception que celle retenue par le Conseil d’Etat en matière de délégation de service public, on soumettra à la procédure du décret des concessions qui en droit communautaire constituent des marchés de travaux. Le décret serait alors illégal en ce qu’il prévoirait une procédure de passation pour ces marchés de travaux, plus souple que celle qui est prévue par la directive 2004-18 et le code des marchés publics.
Qu’est-ce que le Conseil d’Etat va faire ? Garder la même jurisprudence qu’en matière de délégation de service public ou adopter une nouvelle interprétation de la notion de risque ?
Quelles sont les concessions qu’on peut passer sans état d’âme ? Il s’agit de celles qui sont aux risques et périls ou celles qui sont en dessous du seuil communautaire. D’où l’extrême importance du calcul du seuil. Et en matière de seuils, le décret est irrégulier, car il prévoit que pour calculer le seuil, il faut prendre en compte le seul coût des travaux qui seront remis au concédant, alors que la CJCE décide qu’il faut tenir compte de l’intégralité des coûts, y compris des travaux qui ne seront pas remis au concédant en fin de contrat.

Le droit interne est parfaitement en droit de dire qu’un contrat est sui generis. Quelle est la limite de la liberté du législateur national ? La limite concerne la conformité au droit communautaire. Or, le droit communautaire ne s’occupe que des procédures. Il faut donc que les dispositions de passation du droit interne organisent la transposition des directives, dès lors que le contrat entre dans le champ d’application des directives.
Dans l’attente d’une décision du Conseil d’Etat, les aménageurs doivent appliquer la procédure du décret s’ils concluent une concession aux risques et périls ou une concession en dessous des seuils (tels qu’ils doivent être calculés selon les critères de l’arrêt Auroux). Par contre, s’ils concluent une concession qui n’est pas aux risques et périls, pour se prémunir, ils doivent appliquer la procédure d’appel d’offres communautaire.
La prudence consiste donc à interpréter l’article R. 300-11 comme ne s’appliquant qu’aux concessions conclues aux risques et périls (qui constituent donc des concessions de travaux au sens communautaire).

On donne au décret un champ d’application très limité. Que se passe-t-il pour les autres concessions d’aménagement, qui en l’état actuel des pratiques sont les plus importantes ?
Selon M. Schwartz, quelle que soit l’interprétation donnée de l’article R. 300-11, tous les contrats qui ne sont pas soumis au décret constituent des marchés publics, non seulement au sens communautaire mais même au sens du code des marchés publics. En réalité, ce ne sont pas des concessions d’aménagement. Cela veut dire qu’on ne peut pas conférer par ces contrats tous les privilèges et avantages qu’on peut conférer par la concession d’aménagement en vertu des articles R. 300-4 et -5. Cela paraît contestable car le législateur n’a pas voulu ça : il a donné une définition de la concession d’aménagement sans faire référence aux modalités de rémunération. En principe, il devrait y avoir un décret complémentaire. La loi renvoie à un décret le soin de prévoir les procédures de passation. Ledit décret n’a prévu de procédure conforme au droit communautaire que pour les procédures aux risques et périls. Un autre décret doit donc prévoir les procédures pour les concessions qui ne sont pas aux risques et périls, sachant que ces procédures devront être conformes au droit communautaire (= procédure de marchés publics prévue par la directive), tout en utilisant les marges de manœuvre laissées par le droit communautaire (Ex : possibilité de prévoir une procédure de dialogue compétitif).

Dans l’attente, il faut appliquer purement et simplement la directive communautaire, sauf si on est en dessous des seuils.

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