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Décision n° 2010-33 QPC du 22 septembre 2010 : Première application de la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) en droit de l’urbanisme

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Le Conseil constitutionnel a abrogé, par décision en date du 22 septembre 2010, le point e du 2° de l’article L. 332-6-1 du Code de l’urbanisme, lequel prévoyait la possibilité pour les autorités délivrant une autorisation d’urbanisme d’exiger du bénéficiaire de l’autorisation une participation aux dépenses d’équipements publics sous forme d’une cession gratuite de terrain.

Il va sans dire qu’aucune cession gratuite de terrain ne pourra plus être légalement prescrite à compter du 23 septembre 2010.

Pas plus ne pourront être mises en œuvre les cessions prescrites avant le 23 septembre 2010 date et faisant l’objet d’une instance en cours à cette date.

Reste un certain nombre de zones d’ombre et d’incertitudes sur les cessions prescrites avant le 23 septembre 2010 et non encore définitivement réalisées à la date de publication de la décision du Conseil constitutionnel.

Il appartiendra de déterminer :

  • si ces prescriptions doivent être considérées comme définitives, dès lors que la légalité d’un permis (et donc des prescriptions qui l’assortissent) s’apprécie à sa date de délivrance. Dans cette hypothèse, les cessions ne pourraient être remises en cause, nonobstant l’abrogation du point e du 2° de l’article L. 332-6-1 du Code de l’urbanisme,
  • ou si ces prescriptions ne sont pas définitivement acquises (dès lors que la cession n’a pas encore été effectivement réalisée). Dans cette hypothèse, la cession ne pourrait être réalisée, du fait de l’abrogation du point e du 2° de l’article L. 332-6-1 afin la réalisation effective de la cession.

Voici le commentaire aux cahiers du Conseil constitutionnel de cette décision rendue sur une question prioritaire de constitutionnel posée par la Cour de cassation, qui éclaire le débat sur les cessions prescrites avant le 23 septembre 2010 et non encore définitivement réalisées à cette date :

Commentaire aux cahiers du Conseil Constitutionnel

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 25 juin 2010 par la Cour de cassation (arrêt n° 10-40.008 du 25 juin 2010), dans les conditions prévues à l’article 61-1 de la Constitution, d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du e du 2° de l’article L. 332-6-1 du code de l’urbanisme. Cette disposition prévoit que les autorités délivrant une autorisation d’urbanisme peuvent exiger du bénéficiaire une participation aux dépenses d’équipements publics sous forme d’une cession gratuite de terrain.

Dans sa décision n° 2010-33 QPC du 22 septembre 2010, le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition au motif, soulevé d’office, que la méconnaissance par le législateur de sa compétence affectait un droit ou une liberté que la Constitution garantit.

I. − Les dispositions contestées

L’article 23 de la loi n° 85-729 du 18 juillet 1985 relative à la définition et à la mise en œuvre de principes d’aménagement avait pour objet de fixer les participations à la réalisation d’équipements publics exigibles à l’occasion de la délivrance d’autorisations de construire ou d’utiliser le sol.

L’article L. 332-6 du code de l’urbanisme définit ainsi les obligations qui pèsent sur les bénéficiaires d’autorisations de construire.

Parmi ces obligations figure, au 2° de cet article, « le versement des contributions aux dépenses d’équipements publics mentionnées à l’article L. 332-6-1 ».

Aux termes de l’article L. 332-6-1 du code de l’urbanisme : « Les contributions aux dépenses d’équipements publics prévus au 2° de l’article L. 332-6 sont les suivantes : … 2° … e) Les cessions gratuites de terrains destinés à être affectés à certains usages publics qui, dans la limite de 10 % de la superficie du terrain auquel s’applique la demande, peuvent être exigées des bénéficiaires d’autorisations portant sur la création de nouveaux bâtiments ou de nouvelles surfaces construites. »

II. – La non-conformité à la Constitution

La société requérante soutenait que le e du 2° de l’article L. 332-6-1 du code de l’urbanisme instituait une privation de propriété en méconnaissance du droit de propriété garanti par les dispositions de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

Le Conseil constitutionnel ne s’est cependant pas prononcé sur ce grief mais, après en avoir informé les parties conformément à l’article 7 de son règlement de procédure relatif à la question prioritaire de constitutionnalité et avoir pris connaissance de leurs observations complémentaires, a soulevé d’office le grief tiré de l’incompétence négative du législateur.

Il s’est fondé sur l’article 34 de la Constitution, aux termes duquel « la loi détermine les principes fondamentaux… de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources… du régime de la propriété… » et a mis en œuvre le contrôle qu’il avait défini dans sa décision SNC Kimberly-Clark n° 2010-5 QPC du 18 juin 2010 : « La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où est affecté un droit ou une liberté que la Constitution garantit. »

Il appartenait en l’espèce au Conseil constitutionnel de confronter cette règle de compétence au droit de propriété garanti par l’article 17 de la Déclaration de 1789, aux termes duquel « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ». Dans sa décision n° 2010-26 QPC du 17 septembre 2010 (Décision n° 2010-26 QPC du 17 septembre 2010, SARL l’Office central d’accession au logement (Immeubles insalubres), le Conseil constitutionnel a jugé, ce qui ne faisait pas de doute, que l’article 17 de la Constitution énonce un « droit et liberté », ancien et fondamental, le droit de propriété, lequel constitue « un droit et liberté garanti par la Constitution » au sens de l’article 61-1 de celle-ci.

Il appartenait ensuite au Conseil constitutionnel, pour déterminer si le législateur avait méconnu l’étendue de sa compétence en adoptant le e du 2° de l’article L. 332-6-1 du code l’urbanisme, d’apprécier si cette disposition « affecte » le droit de propriété.

C’est ce qu’il a constaté puisque cette disposition permettait aux communes d’imposer aux constructeurs, par une prescription incluse dans l’autorisation d’occupation du sol, la cession gratuite d’une partie de leur terrain. En application de l’article 17 de la Déclaration de 1789, la loi ne peut autoriser cette cession que pour la réalisation d’une opération dont l’utilité publique est légalement constatée.

Or, le e du 2° de l’article L. 332-6-1 du code l’urbanisme attribue à la collectivité publique le plus large pouvoir d’appréciation sur l’application de cette disposition et ne définit pas, pas plus qu’aucune autre disposition législative, les usages publics auxquels doivent être affectés les terrains ainsi cédés.

La loi n’institue donc pas les garanties permettant qu’il ne soit pas porté atteinte à l’article 17 de la Déclaration de 1789.

En effet, c’est le règlement qui est venu encadrer la cession prévue à l’article L. 332-6-1. Outre l’article R. 332-16, qui est relatif aux équipements nécessaires au gaz et à l’électricité, l’article R. 332-15 précise qu’une cession forcée peut porter sur l’élargissement, le redressement ou la création de voies publiques.

Sans doute, le Conseil d’État est-il venu, dans le cadre de ses compétences, apporter des garanties pour atténuer la portée de la loi. Il veille à ce que la cession soit justifiée par un projet d’opération de voirie publique conforme à l’intérêt général et « suffisamment précis pour justifier la mise en œuvre des prérogatives exceptionnelles déterminées par les dispositions des articles L. 332-6-1 et R. 332-15 » (Conseil d’État, 1er avril 1994, Commune de Ramatuelle, n° 133210).

Mais devant cette imprécision de la loi, qu’il n’appartient pas au pouvoir réglementaire de combler dès lors qu’elle porte sur les garanties d’un droit ou une liberté, le Conseil constitutionnel ne pouvait que déclarer le e du 2° de l’article L. 332-6-1 du code l’urbanisme contraire à la Constitution, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les griefs invoqués par la requérante.

III. – Les effets de la décision

Enfin, le Conseil constitutionnel a précisé la portée de cette abrogation, en application du deuxième alinéa de l’article 62 de la Constitution, aux termes duquel « une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l’article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d’une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause » ?

Tout d’abord, il n’a pas reporté dans le temps l’effet de la déclaration d’inconstitutionnalité : l’abrogation de celle-ci prend donc effet à compter de la publication de la décision. Ensuite, afin de donner un effet utile à la procédure, il a précisé que la déclaration d’inconstitutionnalité peut être invoquée dans les instances qui sont en cours à cette date et dont l’issue dépend de l’application de
la disposition déclarée inconstitutionnelle. Il n’a donc pas remis en cause, dans un souci de sécurité juridique, les situations définitivement acquises à la date de l’abrogation.

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