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Le projet de réforme du statut pénal du chef de l’Etat

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Le projet de modification du titre IX de la Constitution a été adopté par l’Assemblée Nationale le 16 janvier 2007. Il vise à modifier le statut pénal du chef de l’Etat, tant pendant qu’après son mandat.
Il doit désormais être adopté dans les mêmes termes par le Sénat puis, le cas échéant, par le Parlement réuni en congrès à Versailles où il doit alors recueillir les trois cinquièmes des suffrages exprimés pour être adopté définitivement.

Dispositions du titre IX actuellement en vigueur

Art. 67. – Il est institué une Haute Cour de Justice.
Elle est composée de membres élus, en leur sein et en nombre égal, par l’Assemblée Nationale et par le Sénat après chaque renouvellement général ou partiel de ces assemblées. Elle élit son Président parmi ses membres.
Une loi organique fixe la composition de la Haute Cour, les règles de son fonctionnement ainsi que la procédure applicable devant elle.

Art. 68. – Le Président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison. Il ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de Justice.

Projet de modification des dispositions du titre IX actuellement en débat devant le Sénat

Art. 67. – Le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68.
Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu.
Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation des fonctions.

Art. 68. – Le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour.
La proposition de réunion de la Haute Cour adoptée par une des assemblées du Parlement est aussitôt transmise à l’autre qui se prononce dans les quinze jours.
La Haute Cour est présidée par le Président de l’Assemblée nationale. Elle statue dans un délai d’un mois, à bulletins secrets, sur la destitution. Sa décision est d’effet immédiat.
Les décisions prises en application du présent article le sont à la majorité des deux tiers des membres composant l’assemblée concernée ou la Haute Cour. Toute délégation de vote est interdite. Seuls sont recensés les votes favorables à la proposition de réunion de la Haute Cour ou à la destitution.
Une loi organique fixe les conditions d’application du présent article.

Avant ce projet de loi constitutionnel, le statut pénal du chef de l’Etat était réglée par la jurisprudence. A la fois le Conseil Constitutionnel et la Cour de Cassation avaient été amenés à se prononcer sur le fait de savoir si le Chef de l’Etat pouvait être poursuivi devant une juridiction pénale, comme chaque citoyen, pour des faits étrangers à sa fonction.
Les deux institutions avaient conclu à l’inviolabilité du Chef de l’Etat durant son mandat, mais en des termes légèrement différents.
Par une décision du 22 janvier 1999, vérifiant la constitutionnalité du traité instaurant la cour pénal internationale, le Conseil constitutionnel avait considéré que la responsabilité pénale du Président de la République durant son mandat ne relevait que de la Haute Cour de Justice.
La Cour de Cassation avait elle jugé dans un arrêt du 10 octobre 2001 que le Chef de l’Etat bénéficiait d’une inviolabilité temporaire. Les délais de prescription et les poursuites s’en trouvaient seulement suspendues. Ils pouvaient reprendre après la fin du mandat du Président.
La solution de la Cour de cassation était donc plus stricte à l’égard du chef de l’Etat, car l’exercice des fonctions présidentielles a, selon sa décision, pour effet de suspendre tant les poursuites que les délais de prescription pour les faits qui lui sont reprochés. Le Conseil Constitutionnel n’avait pas retenu une telle suspension des délais de prescription.
Cette divergence est d’importance si on prend par exemple le cas de l’actuel président, en fonction depuis 12 ans. En l’absence de suspension des délais de prescription, la plupart des faits commis avant ou au début de son mandat se verraient aujourd’hui prescrits, par application de la prescription décennale. Au contraire, en cas de suspension des délais de prescription, il aurait encore à répondre de ces faits, tout se passant comme si son mandat était mis entre parenthèse, pour l’écoulement du temps juridique.

Les apports de la réforme

Selon le premier alinéa de l’article 67 : « Le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68. »
Cette disposition prévoit l’irresponsabilité du Président pour les actes qui relèvent de la fonction. Le principe est donc posé. Pour tous les actes exécutés en application de ses prérogatives, le Président ne pourra souffrir d’une quelconque responsabilité, tant civile que pénale.
Cette irresponsabilité couvre tous les actes relevant des fonctions du Président de la République, i.e. les pouvoirs qui lui sont confiés par la Constitution : prérogatives militaires, promulgation des lois, dissolution de l’assemblée nationale, exercice des pouvoirs spéciaux de l’article 16. Pour ces actes, le Président bénéficie d’une immunité générale.
Cette immunité connaît cependant deux exceptions :

  • L’article 53-2 de la Constitution : le président de la République peut être déféré devant la Cour pénale internationale à raison des actes accomplis en application de ses pouvoirs constitutionnels.
  • L’article 68 de la Constitution : « Le Président de la République ne peut être destitué qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. La destitution est prononcée par le Parlement constitué en Haute Cour. »
    L’expression se substitue à la « haute trahison » de l’article 68 actuel. L’expression était apparue en effet peu claire et suscitait des interprétations contrastées. Elle n’est en effet pas définie dans la Constitution ni aucun autre texte du droit positif.
    Le « manquement à ses devoirs » : quels sont les devoirs du Président de la république ?
    On songe aux devoirs qui résultent de la mission qui lui est donnée par la Constitution. Ils recouvrent les prérogatives qui ne sont pas facultatives (nommer un premier ministre ou promulguer une loi votée par le parlement). Mais on peut aussi songer que les atteintes à la dignité de la fonction relèvent également des devoirs du président.
    Le texte contient une réserve à propos de ce manquement aux devoirs. Il faut que ces manquements soient « manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Une telle limitation n’est pas nouvelle en droit positif. Il s’agit en droit administratif ou en droit commercial de la notion de faute détachable. Dans ces matières, l’administrateur ou le dirigeant n’engage sa responsabilité personnelle que s’il commet une faute détachable, c’est à dire incompatible avec ses fonctions.
    Le texte établit la nature de la sanction : il s’agit de la destitution du Président, qui met fin à ses fonctions. Il ne s’agit donc pas d’une sanction civile, pénale ou administrative. Mais cette destitution permet d’ouvrir des actions civiles ou pénales contre le Président destitué en vertu du troisième alinéa de l’article 67 de la Constitution (voir infra). Cependant, comme on l’a vu, les actes accomplis en la qualité de Président de la République n’engagent pas la responsabilité de celui-ci.
    Le texte règle également la procédure de destitution. L’Assemblée et le Sénat doivent d’abord voter la décision de se réunir en Haute Cour. Ce vote acquis, le Parlement constitué en Haute Cour vote pour décider la destitution du président de la République.
    Dans le projet du gouvernement, ces votes (ceux des deux Assemblées puis celui de la Haute Cour) sont acquis à la majorité simple. Un amendement a été voté, qui porte cette majorité aux deux tiers des voix des parlementaires.

Le second alinéa de l’article 67 intéresse l’accomplissement d’actes de procédure contre le Président de la République : « Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. »
Aucune procédure civile, administrative ou pénale ne peut prospérer pendant la durée de l’exercice de fonctions.
Les actes visés peuvent être intervenus avant l’entrée en fonction du Président ou pendant l’exercice de son mandat.
La justification de cette protection générale réside dans le risque d’utilisation d’instruments processuels pour affaiblir politiquement et institutionnellement la Présidence.

Le troisième alinéa de l’article 67 prévoit le caractère temporaire de l’immunité dont bénéficie le Président de la République : « Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation des fonctions. »
Autrement dit, si le Président échappe à toutes procédures pendant la durée de son mandat, celles-ci ne sont que suspendues. Autrement dit, les procédures engagées avant l’entrée en fonction ou qui n’ont pas pu l’être durant le mandat peuvent se poursuivre à l’expiration d’un délai de viduité fonctionnelle.
En conséquence, les prescriptions ne courent pas pendant la durée du mandat en application de l’adage Contra non valentem agere non curit praescriptio.

La réforme ne se limite donc pas au seul statut pénal du Président de la république. C’est son statut juridictionnel qui est fixé, de même que celui de sa responsabilité politique. Car si la haute trahison de l’article 68 actuel présente une dimension pénale marquée, le « manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat. » est, de façon neutre, l’instrument de contrôle de l’exercice de son pouvoir.

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